Cela faisait maintenant sept ans que le grand roi de Mycènes, Agamemnon était mort. Ses assassins, son épouse Clytemnestre et son amant Egisthe étaient devenus les souverains de la toute-puissante cité grecque. Le peuple de Mycènes avait tout ignoré du drame qui s'était produit il y a sept ans dans les alcôves du palais : le roi qui s'était mal remis de ses blessures de guerre, avait succombé…
Seule une jeune fille avait su : Electre, créature effacée qui à l'heure du massacre avait caché sous sa robe son petit frère, Oreste pour qu'il échappe à la tuerie perpétrée par Egisthe. La poitrine serrée par l'horreur et par la peur, elle avait traîné l'enfant hors des murs du palais. Des serviteurs fidèles l'avaient aidée à sauver le seul héritier mâle qui selon la loi aurait droit au trône et qui vengerait leur père, Agamemnon. Les jambes écorchées par les ronces, le corps écrasé par la fatigue et l'angoisse, elle avait couru dans les collines asséchées par le soleil et là, un homme acquis à sa cause, avait emmené Oreste loin de Mycènes dans les montagnes du Parnasse dans le pays de son oncle, Strophios, le roi de Phocide.
Pauvre petite Electre, qu'es-tu devenue après ces nombreuses années ? Une frêle jeune femme au visage douloureux, soumise à son maître, un rude paysan grec. Tu vis comme une servante dans le dénuement et la solitude alors que fille de roi, tu devrais espérer un riche mariage ; tu repenses au passé, à la cruauté de ta mère et à son indifférence à ton égard, à son amant maudit, Egisthe qui te déteste et qui t'a reléguée ici dans la campagne où nul ne viendra te chercher. A quoi bon pleurer ? Si les dieux en ont décidé ainsi ! Mais c'est plus fort que toi, tout te ramène vers le passé, vers le tombeau de ton père, le grand roi, Agamemnon et cette violence soudaine qui te submerge résonne en toi comme un appel à la vengeance ! Quand le sang des Atrides cessera-t-il de couler ?
Oreste est revenu. C'est un homme maintenant. C'est lui qui se recueille devant la tombe d'Agamemnon. Ses cheveux blonds encadrent un visage sérieux. Derrière lui, son compagnon, jeune et beau aussi, Pylade, fils de Strophios, te sourit. Tu vas vers eux ; ils te reconnaissent. Vous devez avoir tellement de choses à vous raconter après ces années de séparation. Mais les mots viennent difficilement : des flots de sang vous séparent. Eh toi, Electre, tu ne peux pas t'empêcher de crier ta haine : " Maudite Clytemnestre, la meurtrière de notre père ! Mort à Egisthe l'usurpateur, le tueur, le voleur de bonheur qui a fait de nous des bannis ! Tue-les, je t'en prie, tue-les ! Que leur sang efface la souillure ! Je t'en prie, Oreste. "
Oreste à genoux, promet : il sait qu'il ira, qu'il pénétrera dans le palais et qu'il tuera celle qui a bafoué l'honneur de leur famille par un crime commis sept ans plus tôt et celui qui l'a exécuté et qui est maintenant roi.
Aujourd'hui, le soleil ne darde pas ses puissants rayons sur la terre grecque. Mycènes est en deuil : Oreste a accompli la vengeance. Les vêtements souillés par le sang de sa mère et de son amant, il dépose en tremblant l'arme ensanglantée sur le tombeau de son père. Electre sereine, prie.
Pylade a peur. Les dieux pardonneront-ils ? La mort de Clytemnestre et d'Egisthe peut paraître juste, mais Oreste a quand même porté le poignard contre sa mère, la chair de son sang. Pylade, tu as raison de craindre pour ton ami. Surtout ne l'abandonne pas ! En épargnant Clytemnestre, il aurait eu droit au bonheur. Tu le vois hagard, torturé, presque fou. La malédiction des Atrides n'est pas finie. Les dieux l'ont puni : les Erinyes, déesses de la vengeance sont venues comme le remords le hanter. Il ne connaîtra plus ni le jour, ni la nuit. Combien de prières, de supplications, de purifications faudra-t-il pour que ces furies cessent de le harceler ? Aura-t-il assez de force pour surmonter les tortures de sa conscience ? Toi seul peux l'aider à échapper à la mort ou à la folie. Peut-être alors les dieux lui accorderont-ils le pardon et reviendra-t-il enfin à Mycènes pour y vivre comme un roi !